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24 février 2010

Topinambour et rutabaga

topinambour

 

J'étais un enfant difficile. En tout cas, difficile à nourrir, car par ailleurs doux comme un agneau. Seuls quelques aliments trouvaient grâce à mes yeux ; devant les autres je renâclais comme un cheval auquel on présente un bouquet de ciguë. Pour me faire manger des légumes, ma mère essayait la persuasion, mon père faisait usage de son autorité. Tous deux se souvenaient de la faim qu'ils avaient éprouvée pendant les années de guerre encore si proches. J'entendais citer le topinambour et le rutabaga, ces légumes aux noms exotiques, que je me figurais contemporains de l'archéoptérix. Je mâchonnais du bout des dents une feuille de salade, comptais un à un les petits pois qui refroidissaient sur mon assiette et finissais parfois par vomir le tout, déclenchant l'ire de mon père qui se figurait que je le faisais exprès, l'angoisse de ma mère et finalement ce que je redoutais le plus au monde, une scène de ménage dont j'étais le centre.

Mangeant peu et courant beaucoup, j'étais maigre à une époque où on jaugeait encore la santé des enfants à la rondeur et à la rougeur de leurs joues, preuves qu'un sang riche circulait en dessous. Ma mère demandait au médecin de me prescrire des "fortifiants", et on pressait pour moi dans un étrange appareil des morceaux de bifteck pour en extraire le jus. On le mêlait à ma purée, se figurant sans doute me communiquer ainsi un peu du principe même de vie convoyé par le sang de l'animal. On diluait un doigt de vin dans mon verre d'eau, le vin comme le dit Barthes participant de la même mythologie, et comble de délices, on m'autorisait parfois à tremper mes lèvres dans un "apéritif" concocté à la maison avec du vin et une petite fiole d'un élixir acheté chez le pharmacien, nommé Quintonine, et dont j'apprends en écrivant ces lignes qu'on peut encore le trouver aujourd'hui.

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